Paroles de coups de coeur : Vincent Rapet, Domaine Rapet Père et Fils, corton-charlemagne 2010 (Grappe d’argent du Guide Hachette des Vins 2013)
« Très élégant dans son habit jaune clair aux reflets verts. Au nez, de fines senteurs de fleurs blanches, d’abricot et d’ananas rehaussées par une pointe mentholée préludent à une bouche splendide, fraîche et ronde à la fois, mise en valeur par une minéralité qui porte loin la finale. Un grand vin, riche et complexe. » Voilà le portrait bien enlevé d’un vin qui a valu à son auteur la grappe d’argent : le corton-charlemagne de Vincent Rapet.
Sacré Charlemagne !
L’empereur avait la « barbe fleurie », longue et blanche, mais ses épouses et favorites le houspillaient toujours, ses pages le raillaient aussi en catimini, car lors des banquets, sa barbe majestueuse se constellait de fâcheuses taches de vin. Alors Charlemagne décida qu’on ne cultiverait plus désormais de raisins rouges à Corton, dans ce coin de sa Bourgogne chérie, mais des blancs. L’authenticité de cette histoire n’est pas garantie. Toutefois, le plus célèbre des Carolingiens a laissé son patronyme en de nombreux lieux de la province : afin de s’attirer les bonnes grâces du pape, il avait coutume de léguer des terres aux moines, lesquels les baptisaient du nom de leur bienfaiteur. C’est ainsi qu’il donna aux chanoines de Saulieu un vignoble, à l’origine du climat En Charlemagne, noyau du grand cru. La « montagne » de Corton, au-dessus du village de Pernand-Vergelesses, se coiffe du chapeau vert d’un petit bois. Dans les vignes accrochées aux versants, le chardonnay est le roi sur les plus hautes pentes exposées au sud-ouest.
Rapet de père en fils
Vincent Rapet a suivi ici Robert, puis Roland, et des générations de Rapet. Il est le huitième du nom et montre avec fierté un taste-vin gravé : « Rapet 1765 ». Vincent et Sylvette sont installés là depuis presque trente ans. Ils ont gardé à la cave la pancarte des anciens avec la drôle de devise locale : « Pernand, vin je bois, verre je laisse ! » Le domaine compte 18 ha, sur les territoires de Pernand-Vergelesses, Savigny-lès-Beaune, Aloxe-Corton et Beaune. Les vignes se répartissent de la base au sommet de la hiérarchie des appellations bourguignonnes, avec des terroirs en AOC régionale, communales, en 1er cru et en grand cru (3 ha en corton-charlemagne). La terre est pauvre, les coteaux pentus, les calcaires profonds, promesses de belle minéralité et d’acidité des blancs. Le noble chardonnay y a supplanté l’aligoté plus abrupt d’autrefois. Ce dernier cépage faisait « un vin de casse-croûte », qui « allait bien avec les escargots à l’ail et au persil ». « Le chardonnay de chez nous, dit Vincent Rapet, est minéral, plein de fraîcheur, droit et très désaltérant, avec même un léger côté salin. » Vert-jaune dans sa jeunesse, puis doré à dix ans d’âge. « Le corton-charlemagne est très pierre à fusil au goût, dit Vincent. Au contraire des meursault ou des montrachet, plus ronds, plus gras. Il se rapprocherait des chablis par le style. Eux aussi viennent des cailloux. »
Les temps changent…
Vincent Rapet, qui sera bientôt l’un des anciens de Pernand-Vergelesses – trente ans bientôt dans ses vignes− a pu observer tous les changements dans les pratiques en Bourgogne. « Autrefois, on laissait aller la nature, dit-il. Aujourd’hui, on fait un travail de dentelle ». On ébourgeonne : quatre branches sur la baguette et deux sur le courson, pour aérer les ceps. On agrafe les pieds en juin, pour que les branches ne s’emmêlent pas. On effeuille au soleil levant : les grappes capteront ainsi la lumière. On vendange en vert. Avant on laissait la vigne pousser à sa guise. Autrefois, on labourait par tiers tous les trois ans. A présent, c’est tous les ans. On enlève ainsi les racines de surface, et les principales s’enfonceront plus profond. « Avant, au 10 juillet, on avait fini le travail, explique Vincent, maintenant on ne termine pas avant août. Et en plus, sur les pentes de Corton on a de gros soucis d’érosion. Il faut entretenir les fossés, relever les talus, remonter la terre pendant l’hiver. » Les changements transforment aussi la cave. En 2002, la nouvelle cuverie est entrée en service, remplaçant trois petites caves dispersées. Moins de voyages pour le vin, qui s’en porte mieux. Deux nouveaux pressoirs œuvrent sur des raisins entiers, ce qui met en valeur la finesse du vin. En 2006, les barriques bourguignonnes de 228 litres ont été abandonnées, pour des 350 litres « On sent moins le bois, constate Vincent, et le terroir est mieux mis en valeur ». Autant de perfectionnements et d’attentions de tous les jours. Le métier a bien changé en trente ans.
Les paysages de Corton
Les vignerons de Corton entendent restaurer et préserver leurs paysages ancestraux. Une trentaine d’entre eux ont fondé l’association « Paysages de Corton ». Cette année, des arbres fruitiers, amandiers et pêchers, ont été plantés sur les versants. On s’entraide à restaurer les vieux murets de pierre, les haies. Un atelier travaille sur l’érosion des pentes : faudra-t-il semer de l’herbe pour contenir le ravinement ? Certains ont installé des ruches au-dessus des parcelles pour obtenir une meilleure pollinisation. Et tous s’efforcent de mener une lutte raisonnée contre les parasites, en réduisant les doses de produits chimiques et en les adaptant à la pousse de la vigne. Les choses changent à Corton, et les vignerons retournent parfois à la sagesse d’autrefois. Mais les goûts ont changé, remarque Vincent Rapet. «Avant, dit-il, les gens gardaient leurs vins. Aujourd’hui, ils les veulent bons jeunes et bons vieux. Quand on leur dit de les boire dans dix ans, ils vous regardent avec des yeux ronds ! »