Paroles de coup de coeur : Caroline Noël-Barroux, château Barrabaque à Fronsac
Barrabaque ? Un « vin de femmes ». Le grand-père ch’ti, brasseur et négociant en vins à Pont-de-la-Deule, près de Lille, voulant posséder sa propre étiquette, avait acquis la propriété en 1936. Sa fille a pris sa suite pendant vingt ans, et Caroline le relais en 2004. « J’ai toujours voulu faire cela », précise-t-elle. « Je n’ai pas hésité longtemps à la disparition de ma mère. » De l’ambition et les moyens de l’ambition, la preuve brillante : licence de chimie à Darmstadt et maîtrise à Bordeaux, puis l’École supérieure d’agriculture à Angers, option viti-œno, avec le grade d’ingénieur, suivie de six années d’apprentissage comme maître de chai dans un cru classé de Saint-Émilion. Une vigneronne à la tête bien pleine, et une mère comblée de trois garçons, parfois débordée. « C’est un peu compliqué au moment des vendanges, pendant deux mois à 7 jours sur 7, à l’époque de la rentrée des classes. » Là, c’est son père qu’elle appelle en renfort pour veiller sur les enfants.
Une histoire de famille, aussi, le vin de Barrabaque. « La constance », dit Caroline Noël-Barroux. Elle suit le sillon. « Je continue ce qui a été fait, il n’y a pas de rupture. J’ai le même ressenti du terroir, la typicité reste la même. Je n’ai rien changé. » Le château est une valeur sûre et consacrée du Fronsadais, avec sept coups de cœur du Guide ces dernières années. « Mais c’est mon premier [coup de cœur obtenu] toute seule, auparavant je les partageais », souligne Caroline. Dans sa pratique, la parcelle est l’unité de mesure. Culture raisonnée, pas de traitement systématique mais un travail adapté à chaque parcelle selon la vigueur et la sensibilité aux maladies de celle-ci. Vendange et vinification parcellaire, « pour recueillir l’essence de chacune », dit-elle. Un élevage à 30 ou 40 % de barriques neuves seulement, selon les années, « pour préserver le fruit du raisin ». Le bois ? Un peu mais point trop, ce n’est pas le style de la maison. « On reviendra bientôt à des vins plus friands. Cette mode du bois passera », pense-t-elle. Le terroir et le fruit avant tout. « Il ne s’agit pas d’appliquer des recettes de cuisine. Je m’adapte en goûtant les cuves. » Toute une démarche résumée dans une formule : « Faire un vin qu’on ait plaisir à boire et pas seulement à déguster. » La cuvée Prestige, réservée à l’appellation canon-fronsac, assemble merlot à 80 % et cabernet franc à 20 %, élevés pendant dix-huit mois.
Les experts du Guide ont été séduits par le millésime 2006 : « Robe presque noire, très brillante. Bouquet intense de cerise noire, de torréfaction et d’épices. Tanins mûrs et élégants. Longue finale harmonieuse et racée. »
L’éloge rejaillit sur les fronsac et canon-fronsac, mais ces appellations sœurs manquent toujours de reconnaissance et de notoriété, dans l’ombre de leurs prestigieuses voisines pomerol et saint-émilion. « Il est parfois plus difficile de vendre du fronsac que du bordeaux », déplore Caroline Noël-Barroux. Elle se désole aussi du divorce entre fronsac et canon, mais se résigne : « Ma mère a œuvré longtemps à une fusion. Il faut maintenant aller de l’avant et ne pas revenir sur ces vieilles querelles. » Faire apprécier Barrabaque, c’est fait. L’imposer au devant de la scène, c’est sa résolution. Pour commencer, elle développe l’accueil au château, l’ouvre aux visites et aux dégustations et fera portes ouvertes deux fois par an. « Pour nous, c’est important et agréable, ces moments d’échange », dit-elle. Le deuxième souffle de Barrabaque.